« Puisque ces mystères me dépassent, j’assume ! ». Jean Cocteau disait « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur. ». Je n’aurai pas cette prétention. Pout être totalement sincère, je me serais bien passé de ce titre provocateur du Point pour résumer ma participation, dimanche dernier, aux élections municipales partielles de Saint Cénéri. Au demeurant, comme je n’ai vraiment aucune envie de m’excuser, bien au contraire, je revendique la logique absolue de mon engagement et je défie d’ailleurs quiconque de me démontrer que je ne concoure pas, de manière efficace, au développement du territoire dont je suis l’élu.

Disons-le tout net, cependant, la réputation de la politique et des hommes politiques est telle qu’aujourd’hui il est impossible de bénéficier de la moindre présomption de bonne intention. Il nous faut, au contraire, affronter sans cesse des présomptions de mauvaises intentions. Un blog est précisément fait pour vous raconter ma petite histoire, pas trop longuement. Ce sera cependant difficile. Pour ceux qui vont inévitablement s’ennuyer, surtout arrêtez-vous immédiatement et zappez !

Comment également éviter de tomber dans l’autojustification dont je n’ai aucune envie ? Puisque je ne regrette rien. Reprenons alors la simple chronologie des faits.

Au départ, je suis un homme comblé : je ne fais pas de politique ! Notaire en Alençon, reconnu par ses pairs, élevé à la Présidence des Notaires de France, je parviens convenablement, me semble-t-il, à concilier vie personnelle et professionnelle. Puis dégringole dans ma vie la politique comme par hasard. Elu Maire d’Alençon en 1989, j’en deviens, en même temps, Président du District (intercommunalité). Elu Sénateur en 1992, je deviens rapporteur Général du Budget en 1995, puis Président de la Commission des Finances en 1998. Au plan local, la ville s’embellit aux yeux de tous les habitants, l’intercommunalité s’offre le luxe de s’élever au rang de Communauté Urbaine, comme par magie ; au plan national, avec mon ami Didier Migaud, nous parvenons à construire la nouvelle Constitution Financière dont la France a besoin (la LOLF). Enfin, je suis réélu Maire d’Alençon en mars 2001 avec 60% des suffrages, chiffre jamais atteint par aucun Maire depuis la libération, cette ville ayant toujours hésité entre gauche et droite.

En 2002, Jacques Chirac me harcèle pour que j’entre au gouvernement. Dès cette époque, je lui dis ma préférence pour la Présidence du Sénat, à terme. Rien n’y fait. Il insiste. J’accepte, le ministère du budget malgré des promesses (qui n’engagent que ceux qui les croient) bien plus mirobolantes. Lourde charge, car nos finances publiques sont en chute libre, attendu la conjoncture maussade qui sévit depuis le second semestre 2001. Durant 2 ans, de 2002 à 2004, je n’aurais de cesse, dans l’indifférence générale, de lutter pour donner à nos comportements financiers un peu de cohérence : mise en oeuvre de la LOLF, introduction d’une norme de dépenses pour contenir l’hémorragie, innovation dans la construction budgétaire avec la mise en place des conférences budgétaires de début d’année pour la modernisation de l’action publique. Bref, je vous fais grâce de la somme de toutes mes recommandations de l’époque. Elles n’ont que rarement connu de suite favorable, ni même, pour la plupart, été honorées de réponse.

Je ne vis pas cette entrée au gouvernement comme un honneur. Car, curieusement, je suis assez indifférent aux honneurs. C’est le pouvoir et son contenu qui m’intéressent. Puis, soyons clairs, ce n’est non seulement pas un honneur mais un calvaire. Dans le mois de ma nomination, alors que je ne sais même pas si une majorité parlementaire nous sera donnée par les Français, je dois démissionner de ma fonction de notaire, de ma fonction de Maire, de ma fonction de Sénateur et de Président de la Commission des Finances. Je cite ces 3 là, car je ne les retrouverai pas à la sortie (et je le sais au départ), sauf celle de Sénateur en retournant devant les électeurs.

En mars 2004 sont programmées des élections régionales et cantonales. Quelques mois auparavant, les Présidents de mon Conseil Régional (de Basse-Normandie) et de mon Conseil Général (de l’Orne) m’invitent, avec insistance (il suffit de vérifier auprès d’eux) à me présenter à ces scrutins pour, d’une part aider la liste régionale, et d’autre part, succéder éventuellement à terme au Président du Conseil Général qui souhaite s’arrêter après quarante années de mandat départemental. Après hésitation, je me lance à fond dans la compétition. C’est un moment de fatigue monstrueux. Mener deux campagnes. Tenir ma place à Bercy. Affronter le vent politique contraire qui souffle violemment en ce printemps 2004 (toutes les régions perdues en France sauf une). J’aggrave mon cas en choisissant de me présenter dans un canton difficile, repris par la gauche lors d’élections précédentes. Je l’emporte sur le fil à 26 suffrages près sur des milliers. Les pieds en sang après des centaines et des centaines de porte à porte. La section de liste que je conduis aux Régionales est en tête dans l’Orne, contrairement aux deux autres départements. La récompense tombe dès le lendemain : viré du gouvernement ! Il est vrai que quand tout le monde perd, il y a de l’impertinence à gagner.

Pendant 6 mois, je ronge mon frein à l’Elysée où le Président, sans doute peu fier du sort qu’il m’a réservé, m’héberge en attendant que la Constitution me permette de retrouver le siège au Sénat que j’ai dû quitter en entrant au gouvernement. Réélu en septembre 2004, avec le meilleur score national, je commets (volontairement) une nouvelle impertinence, pour la Présidence du Sénat, en imposant des primaires au sein du Groupe UMP. Malgré les offres de Présidence de Commission des Lois ou des Affaires Etrangères, je les refuse pour me présenter, comme je me l’étais promis à moi-même, en recommandant d’élire plutôt un Président de moins de 60 ans qu’un sortant de 75. Si le score n’est pas mauvais (un tiers de suffrages), le crime de lèse majesté ne m’est naturellement pas pardonné. N’ayant, dès lors, plus aucune fonction intéressante à exercer au Sénat, je cherche à reprendre du collier au plan local, en attendant tranquillement 2007 où devraient expirer les mandats municipaux, départementaux, et sénatoriaux. Pensez-donc, en décembre 2005, les élections municipales, cantonales, sénatoriales … sont reportées d’un an ! Dois-je attendre une année de plus pour me rendre plus utile ? Je ne me pose pas longtemps la question car une opportunité s’offre : celle de rentrer au Conseil Municipal de la plus petite commune de la Communauté Urbaine : Saint Céneri, le joyau de notre communauté, l’un des plus beaux villages de France. J’accepte avec enthousiasme d’autant que le Maire Ken Tatham a, dans ses cartons, un dossier formidable de mise en valeur du village. Cela tombe bien : c’est précisément ma spécialité. Il pense que je pourrais lui servir d’ambassadeur auprès de toutes les administrations pour accélérer les opérations.

La campagne municipale tourne immédiatement en bal des soupçons. De Saint Céneri pas question. Ce qui intéresse : c’est la communauté urbaine ! Un vrai faux scoop : je l’ai annoncé deux avant ! Les journaux, la radio, la télévision se précipitent. Je suis sommé de dire que je suis candidat immédiatement à la présidence de la communauté urbaine. Je suis bien incapable de répondre à cette question, sauf à présumer du choix des électeurs, ce qui n’est ni convenable ni prudent. Cette hypothèse n’est cependant en rien taboue puisque nous en sommes convenus, depuis l’origine, avec la Présidente qui m’a succédé. Je l’ai, au surplus, déclaré publiquement au moment de mon départ : je reviendrai à l’action municipale qui me plait et me manque par une petite commune, puisqu’elle m’est désormais interdite dans une ville de la taille d’Alençon, selon la loi sur la limitation des mandats. Si ce retour était couronné par le vote des électeurs, il allait de soi que Christine Roimier proposerait à nos collègues de me permettre de finir le mandat que j’avais commencé. Qu’y a-t-il alors de choquant à achever l’oeuvre commencée, alors qu’elle m’a été confiée lorsque j’exerçais des fonctions mille fois plus importantes (Ministre ou Parlementaire à hautes responsabilités) ? C’est à vous arracher les rares cheveux qui vous restent !

C’est vraisemblablement ce qui se passera, à la fin du présent mois. Mais, le mystère reste cependant pour moi qu’il est interdit en France de respecter le vote des électeurs. Le fait de suggérer d’attendre au moins qu’ils se prononcent, par respect pour eux, est perçu comme une rouerie. Quand ils se sont prononcés, de suggérer d’attendre que le Conseil Municipal délibère sereinement et librement apparaît comme une esquive. Il faut, il doit y avoir quelque chose de caché ! Et notamment le fait que sans doute la présidence de la CU est en point de mire. Mais, encore une fois, je l’ai annoncé, il y a 2 ans, dans le journal Ouest-France, au moment de mon départ forcé. En faut-il mention au Journal Officiel ? De guerre lasse, je suggère moi-même à la presse de me poser la question autrement, une manière plus respectueuse des électeurs : « Est-ce que présider la CU de nouveau me ferait plaisir ? Je réponds : oui ! » Malgré cela, rien n’y fait. Il faut absolument que tout soit suspect et médiocre.

Le mieux, en pareil cas, et de laisser dire. De regarder les critiques tomber comme les gouttes sur les plumes d’un canard. Et surtout de se donner des rendez-vous avec soi-même. A la fin du mandat municipal à Saint Céneri en 2008, le village brillera-t-il de mille feux ? Voilà la question qui pour moi compte plus que tout autre ! En 2008, à la fin du mandat, la Communauté Urbaine d’Alençon, la plus petite de France, aura-t-elle conquis de nouveaux titres en matière de rénovation urbaine, d’emplois, d’activités économiques, culturelles, sportives ? Voilà ce qui pour moi compte avant tout ! C’est sur les résultats que je demande à être jugé et pas sur mes intentions. Que mes concurrents viennent sur le blog dire ce qu’ils pensent de l’évolution de la ville depuis qu’elle m’a été confiée en 1989. Elle a opéré le redressement financier le plus important de France pour les collectivités de sa taille. Par la maitrise des dépenses et le soutien à l’investissement. Exactement ce que je n’ai pas réussi à faire partager aux gouvernements de mes idées. Alors, pour en finir, venons-en au régime ou système « féodal ». Titre du Point. Suis-je un féodal ? Probablement ! Quel élu national un peu influent sur son territoire ne l’est pas ? Que l’on m’en cite un seul ! Je ne vois vraiment pas ce qu’il peut y avoir de coupable dans le fait de mettre toute son énergie, son art, et ses idées au service de l’espace et des personnes qui vous ont élu. C’est un devoir et pas une faute. Puis le système dit « féodal » oblige à fonctionner en équipes soudées. Au lieu de s’épuiser dans des rivalités de personnes, il s’agit de les faire toutes converger vers un seul objectif : le développement du territoire dont on a la charge ! L’organisation est celle de la cordée. Il y a certes un premier de cordée, mais son ascension plus vite que les autres ne servirait à rien. S’il les perdait en route il se retrouverait vite en suspension sans pouvoir avancer. Enfin, quand il est temporairement empêché ou fatigué, c’est le second qui le relaie. Au sommet, personne, individuellement, ne pourra se prévaloir d’avoir réussi seul. C’est l’ensemble de la cordée qui aura permis d’atteindre l’objectif défini en commun. Voilà la politique que je mène depuis 15 ans et dont je ne sais si elle est féodale. En tous cas, elle est efficace. Elle ne donne certes pas satisfaction à ceux qui ne parviennent pas à se faire élire au suffrage universel uninominal. Ils préfèrent attendre les scrutins proportionnels, c’est le seul moyen d’être élu.

En conclusion, je trouve que la politique est belle quand elle se partage entre personnes qui ont une totale confiance les unes dans les autres. Quand elle vise de hautes et grandes ambitions pour sa ville ou son village. Quand des projets que l’on croyait hors de portée se réalisent sous vos yeux, parce que vous avez su vous répartir les tâches. Les uns en province, les autres à Paris. Quand elle vous porte à oublier vos intérêts propres pour servir ceux des autres. Je défie quiconque de me démontrer qu’il en a été autrement en Alençon et dans l’Orne. Que c’est une faute. Pour moi, c’est une joie et un bonheur. Alors, comme selon la formule : « que les chiens aboient, l’essentiel étant que la caravane passe. »

j’assume