Dans un billet en date du 14 juin dernier, traitant des retraites, j’expliquais que la traduction des engagements de retraite sous forme d’une dette implicite n’avait pas été effectuée. Il se trouve qu’il y a quelques semaines, l’INSEE a publié un document intitulé « les engagements implicites des systèmes de retraite » qui établit ce chiffrage. Voilà donc quels en sont les principaux enseignements.

Précisons tout d’abord ce qu’est une « dette implicite » : il s’agit de traduire les engagements de retraite à payer dans les années à venir sous forme d’une dette. En clair, l’INSEE a voulu dire : « les retraites qui devront être payées dans les années à venir équivalent à une dette de X milliards d’euros aujourd’hui ». Afin de comprendre la taille de la fourchette de l’estimation, il semble également nécessaire d’apporter des explications préalables aux bloggeurs qui ne sont pas forcement des spécialistes des méthodes quantitatives de la science économique. A la différence de la dette « explicite », celle qui est aujourd’hui connue parce que clairement matérialisée par un contrat (prêt ou titre), avec un nominal, un taux d’intérêt déterminé et une échéance de remboursement, les engagements de retraite forment une dette « implicite » ne constituant pas un engagement ferme et définitif mais ne valant que sous réserve de la permanence des méthodes de détermination des retraites. De plus, chaque cotisant ne possède qu’une probabilité de percevoir une retraite dont la durée est variable selon les individus.

Ensuite, plusieurs méthodes de calcul sont utilisées, sans que l’on puisse affirmer que l’une est meilleure que l’autre. Il y a celle des « droits acquis » qui répond à la question « que vaut la dette constituée par les retraites si les compteurs étaient arrêtés aujourd’hui ? ». Une deuxième méthode dite du « système fermé » consiste à calculer les engagements de retraite obtenus à leur cessation d’activité (c’est-à-dire selon les cas, demain, dans 5 ans, dans 10 ans etc.) par les seuls cotisants d’aujourd’hui, c’est-à-dire sans prendre en compte les droits qu’ acquerront ceux qui ne travaillant pas encore, ne cotisent donc pas. Enfin, le taux retenu pour l’actualisation influe fortement sur les résultats. Pour avoir une idée de ce qu’est l’actualisation, imaginons qu’un individu doit recevoir 100 euros dans un an. Combien vaut cette somme aujourd’hui ? En plaçant 97,3 euros sur un livret A, son débiteur disposera de 100 euros dans un an. Ces 97,3 euros représentent la valeur actualisée de la dette au taux de 2,75 %, puisque avoir 97,3 aujourd’hui ou 100 dans un an sont la même chose. Ceci dit, il est toujours possible de retenir d’autres taux. Ainsi, à 4 %, la valeur actualisée de la dette de 100 à payer dans un an est de 96,15. Pour leur part, les statisticiens de l’INSEE ont effectué leur calcul en utilisant des taux d’actualisation de 2 à 4 %. Ajoutons pour mémoire qu’il a été nécessaire de procéder à des hypothèses simplificatrices en raison du grand nombre de régime de retraite et de la multiplicité des règles qui les régissent.

Les résultats ? Le calcul le plus optimiste donne une valeur de la dette implicite de 3 631 milliards d’euros, soit à peu prés 3 fois le montant de la dette publique, soit encore 2,1 années de PIB. Le calcul le plus pessimiste l’estime à 7 847 milliards d’euro, soit presque 7 fois la dette publique, soit encore 4,7 années de PIB. La fourchette va donc de 1 à plus de 2, ce qui s’explique par la complexité de l’exercice.

Ces engagements sont énormes. Toutefois, il faut bien prendre en compte qu’une partie sera couverte par les cotisations déjà existantes. Il est donc beaucoup plus pertinent, comme l’affirme l’INSEE, d’estimer le besoin de financement supplémentaire généré nécessaire pour faire face à cette dette implicite. Supposons tout d’abord que l’on maintienne les cotisations à leur niveau actuel et que l’on recoure à l’emprunt pour financer le déficit du système de retraite. Selon les hypothèses d’activité des seniors et de durée de vie, l’augmentation de la dette publique du seul fait des retraites atteindrait entre 40 et 60 milliards d’euros en 2040, entre 70 et 100 milliards d’euros en 2050, entre 139 et 257 milliards d’euros en 2070. Il est également possible d’augmenter les cotisations. Selon les différentes hypothèses évoquées supra, une augmentation dès maintenant des prélèvements obligatoires ou une baisse des dépenses allant de 1,3 % à 2,3 % du PIB assurerait l’équilibre à long terme. Il convient de ne pas oublier 1) que la France est déjà parmi les pays où les dépenses publiques sont les plus élevées au monde 2) qu’à ces prélèvements s’ajouteront ceux destinés à couvrir les coûts supplémentaires de santé d’une population plus âgée.

Dernière remarque : cette étude de l’INSEE n’évoque pas les inégalités entre les différents régimes de retraite. Ce n’est d’ailleurs pas son propos. Un entrefilet tout de même précise que le déficit à venir du dispositif de retraite vient pour 55 % des régimes spéciaux de fonctionnaires (notamment d’Etat), lesquels fonctionnaires stricto sensu représentent 20 % de la population active. Est il nécessaire d’ajouter d’autres commentaires ?