Article paru dans l’édition du Monde du 26.08.06 :

On a oublié le temps où dans une France altruiste, un journaliste, Charles Floquet, apostrophait le tsar Nicolas II en visite à Paris (1896) par un « Vive la Pologne, Monsieur ! » provocateur. Aujourd’hui c’est un « Vive l’Italie » qui brûle les lèvres.
Habitués à regarder au-delà des Alpes avec condescendance et mépris, comment admirerions-nous un président du conseil terne, peu éloquent, effacé, sincèrement modeste ? Comment pourrions-nous admettre que Romano Prodi incarne, avec son allure de petit-bourgeois de province, le courage politique ? Courage de rappeler que la bonne gouvernance commence par la réduction des déficits publics. Courage de se déclarer viscéralement européen au moment où l’Europe a mauvaise presse. Courage de régulariser d’innombrables sans-papiers quitte à braver les quolibets des nationalistes de tous acabits. Courage d’appliquer brutalement aux professions protégées – taxis, avocats, assureurs, pharmaciens… – les remèdes préconisés en France en 1958 par le rapport Rueff-Armand et jamais mis en pratique chez nous. Courage, de la part d’un gouvernement de gauche, de proclamer sa foi dans le libre jeu de la concurrence pour le plus grand bien des consommateurs. Courage enfin, sans prendre la pose d’une grande puissance, d’échapper au lobby des généraux, au syndrome de la guerre à zéro mort et de porter haut au Liban le drapeau de l’Europe que la France, après avoir fait des moulinets diplomatiques a, par pusillanimité ou inconséquence, laissé tomber !
La gauche française peut aller apprendre du côté de Rome le réalisme et le bon sens économiques ; la droite y découvrir les principes d’une politique d’immigration raisonnable ; et notre diplomatie se convaincre que l’absence de prétention et la capacité d’agir donnent au monde une meilleure image d’un pays que le verbe gratuit, la morgue inutile et à l’arrivée la faiblesse de caractère.

Alain Minc est président du conseil de surveillance du « Monde ».