Jusqu’à présent, mes billets ont traité de la dette publique financière, celle clairement identifiée par un nominal du à un créancier. Cependant, les générations à venir auront également à assurer une dette latente constituée par les retraites. De par le choix du législateur de 1945 d’une retraite par répartition, clairement réaffirmé par la loi Fillon de 2003, chaque actif acquiert jour après jour par ses cotisations une créance sur la Collectivité, qui sera honorée à son départ en inactivité sous forme d’une prestation reçue tout au long de sa vie restante. A ce titre, le récent rapport Pébereau estime les retraites des fonctionnaires, grosso modo avec les réserves d’usage, équivalentes à une dette représentant 70 % du PIB, en valeur actualisée. Sans rentrer dans les détails, l’actualisation consiste à calculer le capital qui, placé aujourd’hui, permettrait d’honorer les échéances à venir. Les générations à venir devront également prendre en charge les retraites du secteur privé, représentant sans doute (faute de chiffres précis) en valeur actualisée un montant au moins comparable. Au total, l’ensemble de la dette, financière et latente, représente donc plus de 200 % du PIB ! C’est donc de façon très légitime que les jeunes peuvent s’inquiéter de leur solvabilité à venir. Ceci dit, concernant le système de retraite, la situation est améliorable car ses défauts peuvent être en partie corrigés.

En effet, il souffre de 2 faiblesses majeures : La première est imputable au déséquilibre démographique. Le principe de la répartition veut que ce soit les plus jeunes qui payent les retraites de leurs ainés. Il naît chaque année à peu prés autant d’enfants qu’à l’époque du baby boom (750 à 800 000 naissances par an), mais c’est dans une population dont la taille est supérieure de prés d’un tiers. La cause principale, cependant, vient de l’allongement de la durée de la vie. L’espérance de vie à la naissance, qui représente la durée moyenne de la vie d’un enfant lorsqu’il vient au monde, s’allonge d’environ 3 mois par an. La « durée espérée de la retraite pour les individus ayant atteint 40 ans » s’allonge en moyenne 1,5 à 2 mois par an. Dernière cette notion très technique, se cache un double phénomène : une plus grande proportion de Français atteint l’âge de la retraite, laquelle dure plus longtemps. Autrement dit, un jeune qui naît en 2006 a une probabilité accrue d’atteindre ses 60 ans et s’il cesse alors son activité, une durée de retraite allongée de 6 à 8 ans par rapport à ses grands parents, retraités à 60 ans l’année de sa naissance. La conséquence est claire, avec aujourd’hui un cotisant pour 0,5 retraité, dans 15 ans, 1 cotisant pour 0,75 retraités et dans 40 ans (une vie active), un cotisant pour un retraité. L’augmentation des cotisations qui en résulte, liées aux dépenses de santé plus élevées d’une population vieillissante, conduira, « toutes choses égales par ailleurs », les prélèvements obligatoires à dépasser largement les 60 % à un horizon de 40 ans. Il ne faut pas espérer que cette situation soit anodine. En effet, les dépenses publiques vont croître sans correspondre à une production supplémentaire de service, ce qui signifie un appauvrissement de la population. Aussi, si l’augmentation des cotisations est inéluctable, elle doit être atténuée par une adaptation de l’âge de départ en retraite, ce qui, écrivait l’INSEE en avril dernier, n’est pas incompatible avec le maintien de la durée de retraite.

La deuxième vient des inégalités qui le caractérisent. Ainsi, 2 personnes qui ont versé dans les mêmes conditions les mêmes cotisations ne toucheront pas le même montant de retraite selon leur âge de départ en retraite. En effet, celle qui part à 65 ans percevra sur la durée moins que celui qui part à 55 ans. En l’absence de l’application du principe « d’égalité actuarielle » (pour dire simple : « à cotisations égales, total de retraite égal »), pour une même durée de cotisation, plus on part tôt, plus on est gagnant. L’inégalité majeure vient toutefois du fait que le dispositif français n’est pas un véritable système de répartition. En effet, autant pour des causes historiques qu’en raison du pouvoir de monopole, les régimes spéciaux de la fonction publique et du secteur public sont profondément déséquilibrés, car fort généreux, et ne peuvent exister que par des ponctions sur la Collectivité. Ainsi, les pensions de retraites des fonctionnaires d’Etat sont calculées sur les derniers mois d’activité (en principe, les plus importants) contre les 25 meilleures années pour le secteur privé. Faute notamment d’une caisse de retraite alimentée par les cotisations « salariés et employeur », leur financement provient à hauteur de 60 % de prélèvements sur le budget de l’Etat, ce que l’on appelle de façon pudique « les cotisations fictives ». En claire, le contribuable est ponctionné à hauteur des besoins. Un régime calqué sur celui du privé permettrait d’économiser 20 milliards d’euros, 7 % du budget de l’Etat, la moitié de son déficit. Le financement de la CNRACL, la caisse du régime des fonctionnaires des collectivités locales, est équilibré grâce à une cotisation « employeur » de 2/3 supérieure à celle d’un employeur privé (tandis que celle des agents est fortement minorée). Autrement dit, la ponction sur les contribuables est clairement organisée. Les dispositifs de retraite de la SNCF, la RATP et EDF permettent de partir plus tôt, dans de meilleures conditions que le régime général, après une moindre période de cotisation. Ils sont autant de surcoûts payés par le consommateur et/ou le contribuable. On comprend mieux la forte mobilisation des syndicats de fonctionnaires en 2003 contre la loi Fillon. Ils ont tout intérêt à ce que rien ne bouge. Leur opposition farouche à toute forme de capitalisation s’explique aussi puisqu’un tel système les contraindrait à financer leur retraite.

Comme le démontre le Conseil d’Orientation des Retraites en 2006, il serait donc absurde, comme l’a fait le rapport Teulade, de considérer que les difficultés annoncées des retraites viennent d’abord du chômage et de miser sur une croissance forte, durable et très hypothétique pour régler toutes les difficultés. A cet égard, peut être convient il de rappeler quelques faits : – Des départs nombreux en retraite ne favorisent pas obligatoirement l’emploi sur le long terme. En effet, la hausse des prélèvements sur le travail et/ou sur les entreprises renchérissent le coût du travail et pénalise la capacité d’autofinancement des entreprises c’est à dire l’investissement. Les gains de productivité en sont réduits, donc la croissance qui aurait pu aider à sortir de la dette. Voilà la traduction concrète de prélèvements obligatoires arrivant à des niveaux confiscatoires. – La crainte de l’avenir que génère un système toujours plus coûteux incite la population active à épargner fortement, au détriment de la consommation. Ce qui décourage encore davantage l’investissement. Le déséquilibre épargne – investissement conduit alors à la détérioration des rendements des actifs financiers. – Miser sur les gains de productivité pour payer les retraites revient à interdire toute augmentation de revenu aux actifs, ce qui est une forme d’appauvrissement. La réforme Fillon de 2003 reste donc à poursuivre. En effet, elle ne couvre que la moitié du déficit des régimes de retraites à l’horizon 2020 et le quart à l’horizon 2050 … La durée d’une vie active !

En conclusion, il est nécessaire de revenir aux souhaits du législateur de 1945 : un seul système de base pour tous qui ne peut être que le régime général. En effet, le système de retraite repose sur la solidarité intergénérationnelle, clairement réaffirmée dans la loi Fillon de 2003. Cette solidarité doit jouer dans les deux sens et il appartient à notre génération de ne pas sacrifier les conditions de vie de nos enfants. Refuser cette conclusion revient à semer les ferments d’une contestation radicale de notre protection sociale pouvant un jour aboutir à sa destruction. Ceux qui prétendent restaurer le dispositif d’avant 2003 par intérêt corporatiste ou surenchère électorale jouent dangereusement avec le feu.