Il est des montants si énormes qu’ils en perdent presque tout sens. Ainsi la dette publique dépasse désormais les 1.100 milliards d’euros. Pour vous en faire une idée concrète, elle correspond à 8 mois de la richesse créée par la France. Si l’on met à part les collectivités locales d’une nature quelque peu différente (elles réalisent 70% des investissements publics), la dette se situe aux alentours de 1.000 milliards d’euros. Elle est la conséquence de l’accumulation de déficits publics depuis 1980 à laquelle est venu s’ajouter souvent tout ou partie du capital des échéances qu’on ré étalait (bel effet « boule de neige ») … Et même si Lionel Jospin s’en défend, le phénomène s’est poursuivi sans interruption, y compris sur la période 1997 – 2002 durant laquelle la dette publique a augmenté d’un tiers. Ainsi est illustrée la vanité du débat sur la « cagnotte » qui aura été une légende dont la stupidité l’a disputée à la dangerosité. Une agence de notation a fait savoir récemment que le crédit de la France s’effritait. Alors quelles sont les politiques possibles pour en sortir ?

Observons tout d’abord que le recours à la dette excède largement les investissements. En effet, la « Formation Brute de Capital Fixe » (FBCF = l’investissement) de l’Etat représente moins de 10 milliards d’euros par an et une quinzaine de milliards en ajoutant les investissements « divers » (dont ceux de sécurité sociale), pour une augmentation de la dette publique (hors collectivités locales) d’une soixantaine de milliards (moyenne depuis 2000) chaque année. L’Etat finance donc, par emprunt, des dépenses de fonctionnement !!! Rappelez-le, sans cesse, à ceux qui ne veulent pas le croire. Certes, il n’est pas coupable de stimuler l’activité économique par un déficit budgétaire, c’est-à-dire soutenir une demande publique financée par emprunt, censée relayer la demande privée défaillante. Cependant, ce ne peut être qu’une politique de court terme. A défaut, les intérêts de la dette viennent, d’une part, gonfler le budget (sans effet sur la demande), et d’autre part, l’effet ricardien (cf. mon dernier billet) peut en contrecarrer le bénéfice attendu. Il en résulte que le déficit en France, loin d’être un facteur de « relance », est désormais subi en fonction des aléas économiques. Faut-il alors augmenter les impôts ? Prélever 40 ou 50 milliards d’euros de plus chaque année sous forme d’impôts, non compensés par des gains de productivité, risque d’entraîner une diminution bien supérieure de revenu. En effet, la baisse de pouvoir d’achat des ménages ralentit l’activité économique et accroît le chômage. Leur perte réelle de revenu du fait des conséquences induites se situerait alors aux alentours de 60 à 75 milliards d’euros. Alors, peut-on plutôt diminuer les dépenses publiques ? Ces dernières représentent déjà bon an mal an entre 50 et 55 % du PIB (53 % en 2004). Elles se situent ainsi parmi les plus élevées du monde, alors que la nature du service public français le situe à un niveau comparable à celui de pays dont les prélèvements atteignent 45 % du PIB. Notre service public souffre principalement d’une insuffisance massive de productivité, imputable à deux maux majeurs. Le premier se manifeste par l’absence d’une culture de la performance, liée à une volonté hystérique de « risque zéro ». Pour exemple, l’organisation publique accumule les structures dont l’existence n’est pas remise en cause dès qu’elles ne sont plus nécessaires. Ainsi, les départements ont été organisés par la Révolution Française et l’Empire selon des principes oubliés au XXIème siècle mais toujours appliqués, multipliant ainsi les effectifs administratifs. Autres exemples : la rémunération des fonctionnaires dépend de l’ancienneté et de la situation de famille, non de la performance. Lorsqu’un fonctionnaire est embauché, c’est en principe pour plusieurs décennies ; il a le plus souvent la certitude de n’avoir pas à se reconvertir, alors que le monde changeant, des domaines publics se retrouvent en sur effectifs, mais sans redéploiement possible vers ceux en sous effectifs. Au final, la France compte, grosso modo (car les périmètres peuvent varier), 20 à 30 % d’emplois publics de plus que les pays comparables. Le deuxième mal consiste en l’absence de régulation, c’est-à-dire de notre incapacité tragique à corriger les dysfonctionnements et à identifier les pistes d’amélioration possibles. On retrouve ici le débat argumenté qu’a conduit Damien Catteau sur ce Blog autour de la LOLF : il serait nécessaire de disposer d’un contrôle de gestion fort qui aujourd’hui n’existe pas. On ne peut exclure non plus la régulation concurrentielle, qui consisterait à confier au secteur privé la production de services publics. Selon François Villeroy de Galhaud, qui fut directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn, il suffirait de définir un cahier des charges, l’Etat se chargeant de contrôler. Rappelons au passage qu’un service public se comprend comme la mise à disposition de biens et services considérés comme essentiels, sur d’autres critères que le prix de marché, ce qui implique un financement public (sous forme de subventions de fonctionnement) pour couvrir les coûts. En revanche, rien ne permet de justifier les monopoles publics. Bien au contraire, l’Etat devenant juge et partie perd cette capacité de régulation, au risque de produire un service public avec des coûts supérieurs à ceux du même service produit par le privé. L’exemple suédois, à cet égard, est des plus intéressants. Ce pays a ramené sa dette de 80% du PIB en 1994 à un peu plus de 50 % à ce jour, tout en réduisant les prélèvements obligatoires, de 55 % du PIB en 1990 à 52 % (et un budget excédentaire), et en ramenant le chômage de 10 % en 1992 à moins de 6 %. Recette du cocktail : diminution de moitié du nombre de fonctionnaires, services publics confiés à des agences largement autonomes et jugées sur leur efficacité, décentralisation de la gestion des services de santé, création d’écoles privées, ouverture à la concurrence de la Poste, de l’énergie et des transports. La démocratie retrouve ainsi sa fonction régulatrice … Il apparaît cependant que la clé de la réussite repose dans le refus du dogmatisme, ce qui consiste à retenir une solution selon son efficacité, non selon la qualité du producteur, public ou privé.

Rappelons enfin que les pays qui ont réussi à réduire leur endettement sont ceux qui ont joué l’amélioration de la productivité des services publics, notamment en raison de l’effet ricardien (cf. mon dernier billet) se manifestant par une diminution de l’épargne et qui a soutenu la demande globale. Voilà donc tout un programme pour le prochain Président !

Ceci dit, la dette évoquée ici n’est que celle purement comptable. Il reste encore à analyser la dette latente constituée par les droits à retraite des Français. Ce sera donc le thème de mon prochain billet.

A.B. Galiani