L’importance de la dette publique influe-t-elle sur le comportement des ménages ? Ou, ramenant la question à notre quotidien, prenons nous en compte l’endettement de l’Etat lorsque nous consommons et épargnons ? Cette interrogation mérite d’être posée. En effet, lorsque l’Etat emprunte, ce sont au final les ménages qui paieront les remboursements à venir par la voie des impôts. Autrement dit, les dettes publiques d’aujourd’hui font les impôts de demain.

Au cours de l’histoire, cette évidence n’a pas échappé aux analystes avant d’être formalisée très clairement par un économiste anglais du début du XIXème siècle, David Ricardo (1772-1823), qui concluait, dans le climat agité de l’époque, que financer une guerre par une taxe de 20 millions de livres ou par un emprunt amorti à hauteur de 1,2 million de livres pendant 45 ans étaient équivalents. Il n’y a donc qu’un pas à franchir pour conclure qu’en présence d’une dette publique, les ménages anticipant les impôts à venir épargneront pour y faire face, ce que l’on dénomme « l’effet ricardien ». Dans le courant des années 1970, cette thèse sera reprise et développée par un économiste américain, Robert Barro, qui démontrera que la croissance de l’endettement public peut générer une hausse du taux d’épargne des individus. Cependant, la nature des conditions posées pour arriver à ce résultat laisse entrevoir certes une belle construction intellectuelle mais sans conséquences opérationnelles. De fait, au moins jusqu’aux années 80, la plupart des économistes conclura à d’absence d’effet ricardien.

Pourtant, il serait naïf de croire que les peuples n’apprennent pas de leurs expériences. La croissance des dettes publiques qui, pour certains pays comme la Suède ou le Canada, ont pu atteindre respectivement 80 % et 70 % du PIB avant assainissement, la montée des charges de retraites (qui constituent une dette latente constituée par les droits acquis par l’ensemble des cotisants) ont dissipé la myopie des agents économiques sur les possibles difficultés à venir. Ainsi, les banquiers savent qu’une préoccupation majeure de leurs clients est aujourd’hui de préparer leur retraite en se constituant un capital « au cas où … ». L’enjeu en termes de politique économique devient clair : l’effet ricardien, s’il se manifeste, annule les bénéfices d’une politique de soutien de la demande fondée sur le déficit public.
Une étude de la Direction de la Prévision du Ministère des Finances de 2004 s’interrogeant sur la faiblesse de la consommation de la zone euro depuis 2001, met en cause notamment pour la France, entre autres facteurs, la dégradation des finances publiques, en montrant une forte similitude entre l’évolution du taux d’épargne et celle du déficit structurel. Avec pondération, les auteurs expliquent que l’effet ricardien peut être la conséquence « de finances publiques sur une trajectoire clairement insoutenable » ou de dispositions « laissant attendre une correction rapide du déficit ». En janvier 2006, dans un travail économétrique fort abscons portant sur 18 pays au cours de la période 1980 – 2004, Patrick Artus, directeur des études et de la recherche chez IXIS, conclut pour sa part que l’effet ricardien se manifeste lorsque la dette publique et les variations de déficit public sont élevées. Il ressort donc que, désormais, les agents économiques anticipent dans leur comportement les conséquences de l’endettement public. Il en découle très logiquement qu’une politique budgétaire fondée sur le maintien des déficits publics et la poursuite de l’endettement se traduira par un dynamisme économique médiocre. A l’inverse, dans la suite logique des travaux de Patrick Artus, la réduction du déficit conduira à stimuler l’activité, et ce d’autant plus que le signal donné par le Gouvernement sera fort. Il reste deux façons de combler un déficit, par l’augmentation des impôts ou par la diminution des dépenses publiques. A la suite d’une étude portant sur les stratégies des pays de l’OCDE pour réduire leur déficit, deux économistes américains ont montré que les réussites étaient quasiment toujours le fait d’une réduction des dépenses publiques, ce qu’a confirmé depuis le succès des politiques canadiennes et suédoises. L’explication est simple : chaque terme de l’alternative conduit à réduire la demande. Cependant, en cas de baisse (durable) des dépenses publiques, l’effet ricardien se manifeste dans un sens favorable à la croissance : les ménages conservent leurs revenus et, constatant la réduction de la dette publique et du déficit, réduisent leur épargne pour consommer, ce qui compense !
La question devient donc d’apprécier les marges de manoeuvre pour réduire les dépenses publiques. Ce sera à suivre dans un prochain billet.

A.B. Galiani