Lire l’excellente chronique d’Yves de Kerdrel dans le Figaro d’aujourd’hui et dont j’ai repris le titre pour le présent billet. Positif, il reconnaît au défunt CPE l’immense mérite d’avoir ouvert enfin le débat sur la flexibilité. Ce mot jusqu’alors interdit, grossier presque, est désormais utilisé par les différentes sensibilités politiques et syndicales. Espérons qu’elles saisiront l’opportunité du psychodrame qui vient de se jouer pour avancer sur ce sujet capital et ainsi décoincer la porte de l’emploi. Porte dont les clés avaient naïvement été conçues pour empêcher de sortir. Jusqu’alors, elles ont eu pour principal effet d’empêcher d’entrer.
Lire la chronique.

En voici le texte :

Dominique de Villepin voulait faire de 2006 une année utile. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cet objectif est en partie atteint. Parce que, quoi que l’on pense de cette affaire du CPE, le débat sur la flexibilité du travail est ouvert. Grand ouvert, avec l’opinion pour témoin. Ce sujet est devenu incontournable dans la majorité, bien sûr, mais aussi dans l’opposition. Même Ségolène Royal y est allée de son couplet en revendiquant de «l’agilité» pour les entreprises. Il est aussi devenu essentiel pour les partenaires sociaux. François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT en est convenu : «Oui à la flexibilité, mais avec des contreparties.» Quant à Laurence Parisot, elle boit du petit-lait : «Le débat depuis deux mois a permis à beaucoup de Français de faire le lien entre le chômage élevé et la rigidité du marché du travail. C’est plutôt sain, et même bénéfique à terme.»

De la même manière que le rapport Pébereau sur la dette publique a créé une prise de conscience nationale, cette question du CPE a réussi à bousculer un tabou autour des carcans qui pèsent sur l’emploi en France. Et il ne sera pas possible aux futurs candidats à l’élection présidentielle de ne pas apporter des solutions à cette question comme il leur sera obligé de placer la rigueur budgétaire au coeur de leur futur programme. En cela, ce début d’année a été utile, même si la société française aurait volontiers fait l’économie des spasmes qu’elle vient de vivre.

Il reste que derrière le mot «rigidité» se cachent plusieurs problèmes différents. Il y a bien sûr notre système d’indemnisation qui est à la fois loin d’être équitable et efficient. Il y a la question des minima sociaux et des différents revenus tirés de l’assistance qui jouent un rôle contre-productif dans la recherche d’un emploi. Il y a bien sûr un coût du travail particulièrement élevé, notamment en ce qui concerne les emplois non qualifiés, à cause des revalorisations importantes enregistrées par le smic au cours des cinq dernières années. Et puis il y a un droit du travail à la fois dense, complexe, extrêmement strict et source d’innombrables contentieux.

Comme le soulignait récemment sur son blog le sénateur Alain Lambert, ancien ministre du Budget : «Inefficace notre du droit du travail l’est devenu, en se focalisant sur les conditions du licenciement économique, en multipliant les procédures et les obligations de reclassement pour les entreprises et en accroissant sans cesse le rôle des juges. Au bout du compte, cette complexité du droit et l’insécurité juridique qui en découle freinent les embauches plus qu’elles ne protègent l’emploi.» Le Code du travail démontre chaque jour que l’excès de lois finit par tuer la loi, et que l’abus de protection finit par nuire à ceux qui sont censés être protégés.

D’abord parce que notre droit du travail a été conçu pour défendre non pas les salariés, mais les emplois. Ce qui est une absurdité économique autant qu’humaine.

Puisque s’il ralentit un mouvement inéluctable de destructions d’emplois dans certains secteurs, il freine aussi un mouvement tout aussi naturel de créations d’emplois dans de nouvelles activités. Comme le rappelait le rapport Camdessus : «Chaque jour environ 27 000 personnes quittent leurs emplois. Parmi eux seuls 540 correspondent à des licenciements économiques tandis que près de 14 300 sont liés à des fins de contrat à durée déterminée.» L’ensemble du dispositif de la protection de l’emploi est ainsi centré sur les 2% de pertes d’emplois consécutives à des licenciements économiques et fait finalement bien peu de cas des autres.

Le deuxième problème lié à notre droit du travail tient au fait qu’à force de législations de plus en plus contraignantes au cours des vingt dernières années, le juge est devenu de fait le principal arbitre des conditions de licenciement. C’est vrai en ce qui concerne les plans sociaux. C’est vrai aussi en ce qui concerne les licenciements pour motif personnel. Puisque chaque année, les prudhommes examinent plus de 135 000 cas de ce type, sans compter les 50 000 recours en appel. Avec des procédures qui durent en moyenne plus de 13 mois. Avec des jurisprudences très changeantes et qui mettent 5 à 10 ans avant de se stabiliser, comme l’a fait ressortir le rapport Virville. Avec, in fine, des conséquences financières imprévisibles. Tout cela crée une insécurité juridique énorme pour les entreprises.

Le troisième problème enfin réside dans la complexité du droit du travail qui décourage bon nombre d’employeurs, notamment parmi les plus modestes, de multiplier les contrats à durée indéterminée. C’est la raison pour laquelle la part des salariés en CDD, en intérim ou en stage a été multipliée par huit au cours des vingt dernières années. Non seulement la rigidité du droit du travail pénalise le marché de l’emploi, mais elle contribue à l’accroissement de la précarité. Une étude de l’OCDE a récemment montré que la France est à la fois le pays où la protection de l’emploi est la plus forte, mais aussi où le sentiment d’insécurité des salariés est le plus élevé. C’est de ce paradoxe infernal qu’il faut sortir, par de la flexibilité, de l’agilité et moins de rigidité. Aujourd’hui, par chance, presque tout le monde partage enfin ce diagnostic. Il ne reste plus qu’à établir les bons remèdes.

La chronique d’Yves de Kerdrel – 11 avril 2006, (Rubrique Opinions)

Rendez-vous sur le site du Figaro.