Le qualificatif « libéral » apparaît dans un grand nombre de discours politiques comme un repoussoir, prenant parfois même une connotation injurieuse. Il traduit alors un jugement définif, tombant comme une condamnation sans appel. Les détracteurs du libéralisme expliquent qu’il est responsable du chômage, de la pauvreté, de l’exclusion et de tout autre crime, y compris en France, pays rien moins que libéral. Un tel amalgame, aux antipodes de ce que la simple observation peut apporter, n’a d’avantage que de dispenser de réflexion, tirant un trait sur le fait que les pays libéraux ont plutôt moins de chômage et de pauvreté que les autres. Ce papier souhaite en quelques mots éclairer cette doctrine qui, loin de justifier le rejet général qu’elle suscite de l’extrême droite à l’extrême gauche, pourrait contribuer à la construction d’un modèle social pérenne.

De prime abord, le libéralisme est difficile à cerner. Il n’est pas fondé sur des dogmes intangibles mais des principes. Tout d’abord, la liberté de l’individu qui passe par le respect de la capacité de choisir, de penser et d’agir, associant indissolublement le libéralisme aux Droits de l’Homme. La liberté d’entreprendre découle implicitement de la liberté d’agir, posant ainsi l’unicité du libéralisme politique et du libéralisme économique. L’existence de l’Etat n’est pas mise en cause par les libéraux, qui admettent parfaitement son intervention, qui n’exigent pas non plus sa réduction à un hypothétique « Etat minimal ». En effet, d’une part, une Collectivité ne peut exister sans règles et qui dit « règles » dit « contrôles ». D’autre part, l’Etat doit intervenir dans le sens de l’intérêt général, pour lutter par exemple contre les externalités négatives comme la pollution (produite par quelques uns, elle est subie par tous). A ce titre, le principe « pollueur payeur » est par essence un principe libéral. Les libéraux demandent également à l’Etat la définition de règles de droit pour corriger les asymétries dans les relations entre citoyens. On cite régulièrement des passages tronqués d’Adam Smith, on oublie ceux dans lesquels cet auteur considère comme normale l’intervention publique. Le rôle de l’Etat constitue une des différences fondamentales entre le libéralisme et l’ultralibéralisme qui, lui, refuse tout Etat, rejoignant en ce sens les marxistes qui en veulent le « dépérissement ».
Les libéraux s’en méfient cependant car il possède selon l’expression de Max Weber « le monopole légal de la violence physique ». L’Etat n’est pas spontanément au service de l’intérêt général et exige un cadre de fonctionnement, reposant notamment sur la séparation des pouvoirs. Loin de le déifier, les libéraux veillent à ce qu’il ne se substitue pas aux citoyens. En France, la toute puissance de l’Etat déresponsabilise ces derniers et conduit à une société de facto inégalitaire (cf. billet du 2 avril consacré à Chantal Delsol).
Le libéralisme ne s’oppose pas à la protection sociale, il n’en fixe pas de niveau considéré comme acceptable. La seule limite repose sur le niveau des effets négatifs. Pour exemple, concernant les retraites par répartition, la question libérale est de savoir à quel moment les prélèvements opérés sur les actifs pénalisent leurs conditions de vie et le bien être collectif. Un pays libéral ne se caractérise donc pas par son taux de pression fiscale mais par une volonté d’efficacité pour atteindre les objectifs fixés. En clair, les citoyens doivent en « avoir pour leur argent ».
Le libéralisme, c’est aussi une conception de la régulation, c’est-à-dire cette aptitude plus ou moins grande des organisations à corriger leurs dysfonctionnements. L’Etat peut intervenir ou fixer des règles, à la condition de respecter des principes d’égalité et d’efficacité, ce qui exige toujours un contrôle a posteriori de l’action publique. La régulation, c’est, comme déjà dit la séparation des pouvoirs, incluant la séparation des fonctions de réglementation – contrôle des fonctions de production. Ainsi Tony Blair écrivait-il en 2003 que « le recours au privé avait fait progresser la qualité et l’efficacité du public ».
Une société libérale repose sur la liberté de choisir, principe qui forme le socle de la démocratie. La concurrence, qui fonde les mécanismes de marché, n’est jamais autre chose que cette liberté de choix appliquée à l’économie. Elle est un gage d’efficacité. Cependant, son fonctionnement n’est pas spontané. Les monopoles, y compris publics, sont dangereux, ils restreignent la liberté de choix, réduisent la capacité de régulation quand ils ne la contrecarrent pas, et perdent en efficacité. Faute de contre-pouvoirs, ils donnent des moyens de pression considérables, dont celui de bloquer la Collectivité, à une poignée d’individus tentés de l’utiliser à des fins personnelles. Ce que les conservateurs appellent le « démantèlement du service public » n’est jamais que la restitution aux citoyens de leur droit à choisir et le devoir pour le service public d’être régulé.
L’Etat doit responsabiliser les citoyens, ce qui va à l’encontre des intérêts des groupes de pression qui se le sont appropriés. On comprend mieux dans ces conditions les craintes inspirées par le libéralisme.
Ces quelques éléments expliquent ainsi la coexistence de multiples formes de libéralisme, ce qui explique le pluriel du titre -. Elles se caractérisent cependant par l’acceptation comme des faits normaux de la pluralité et du respect des opinions d’autrui comme du refus du dogmatisme, y compris les dogmes présentés comme libéraux (ce qui est un non sens). Par voie de conséquence, une politique sera jugée sur ses effets, non sur des a-priori. Au final, ce qui fonde le libéralisme, c’est le pragmatisme.

A.B. Galiani