Une conversation libre ce midi avec des responsables socioprofessionnels nous a amené à échanger sur l’Europe. Nous étions quasi unanimement consternés par l’impasse dans laquelle nous sommes engagés. La question lancinante est : faut-il relancer un projet européen ? Si oui, quand et comment ? Ne devons-nous pas rappeler ce qu’il nous a apporté depuis plus de 50 ans : la paix, la stabilité et la prospérité dans un continent ravagé, des siècles durant, par des guerres civiles et des conflits armés.

Nous devons au projet européen la période de paix et de stabilité démocratique la plus longue que notre continent ait jamais connu. Lorsqu’en 1951, les six États fondateurs ont décidé de créer une communauté économique du charbon et de l’acier, c’était une entreprise audacieuse et généreuse, associant sur un pied d’égalité les vainqueurs et les vaincus du dernier conflit intra-européen et transformant les matériaux de guerre en instruments de réconciliation. Depuis lors et jusque dans la période récente, l’Europe n’a cessé de promouvoir la paix et la démocratie sur son territoire élargi : la Grèce (1981), le Portugal et l’Espagne (1986) ont été encouragés dans cette voie par leur entrée dans l’Union. Quelques années plus tard, après la chute du mur de Berlin en 1989, l’Europe a oeuvré en faveur de l’unification allemande. À la suite de la décomposition de l’empire soviétique en 1991, les pays d’Europe centrale et orientale, soumis pendant des décennies à la tutelle autoritaire de l’Union soviétique, ont à leur tour retrouvé au sein de la famille démocratique européenne la maîtrise de leur destin. Pour se convaincre du rôle joué par l’Europe, il suffit de comparer l’évolution des anciens pays du pacte de Varsovie qui ont rejoint l’Union à ceux restés en dehors.

Dans le domaine économique, les réalisations de l’Union européenne sont également impressionnantes : un niveau de richesse parmi les plus élevés au monde qui s’appuie sur des possibilités exceptionnelles d’échanges et de circulation au sein d’un grand marché unique de 450 millions de consommateurs ; des avancées scientifiques et technologiques décisives, comme dans le secteur de l’industrie aéronautique et spatiale ; un niveau de solidarité exceptionnel qui a accéléré le rattrapage économique des pays, comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce ; une agriculture moderne plus respectueuse de l’environnement ; et, avec l’euro, la fin des crises de changes, la garantie d’une faible inflation et des taux d’intérêt bas qui permettent aux ménages et aux entreprises d’emprunter à moindre coût.

Aujourd’hui pourtant, ces succès semblent loin et le projet européen s’est brouillé par manque de vision et excès de démagogie : l’Europe, bouc émissaire, a été rendue responsable de tous nos maux ; nous imputons à la bureaucratie bruxelloise les réformes indispensables, que nous n’avons pas le courage de porter au niveau national.

Les non français et néerlandais à la Constitution européenne en mai et juin 2005 traduisent bien la phase de doute dans laquelle nous sommes entrés. Certaines politiques fondamentales, telles que l’euro ou la politique agricole commune (PAC) sont contestées ; une partie de la classe politique s’interroge sur la capacité de l’Union à rendre l’Europe plus puissante et plus compétitive. Et nombreux sont les électeurs qui semblent avoir perdu foi dans le projet européen. Le débat qui agite l’Union n’a donc rien de surprenant : faut-il approfondir l’intégration ? poursuivre l’élargissement ? Les deux ? Ou marquer une pause pour réfléchir ?

J’aimerais recueillir votre sentiment sur ce sujet capital afin que la génération de la jeune personne qui m’a offert ces lignes puisse retrouver une Europe en marche. Celle que nous avons mise en panne.