Au début de l’année 1999, le bureau de la commission de Finances que je présidais à l’époque m’a mandaté en vue de travailler à la préparation d’une réforme de l’ordonnance de 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. L’objectif de cette mission d’information était de permettre à la commission de réunir les éléments nécessaires à la réalisation de cette ambition.
Dans un premier temps, en qualité de Président rapporteur, j’ai saisi le Premier président de la Cour des comptes, par une lettre du 25 mai 1999, en vue d’une étude sur le sujet. La Cour a rendu ses premières conclusions le 1er décembre 1999. A la demande de la commission des finances de l’Assemblée nationale, elle en a rendu de complémentaires le 31 mars 2000. Ces deux contributions, précieuses dans le débat à mener, sont publiées en annexe du rapport auquel vous renvoie le lien ci-dessous.
Puis, j’ai engagé mes propres travaux. Mené 17 auditions du 5 avril au 29 juin 2000. Leurs comptes-rendus figurent également en annexe.
J’ai également souhaité procéder à des comparaisons internationales. J’ai notamment reçu à cette fin une contribution du Conseiller financier au Royaume-Uni, et des documents, jusqu’alors confidentiels, que le Gouvernement a bien voulu me faire parvenir. J’ai également bénéficié des réflexions en cours au sein de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
La méthode retenue a consisté, dans un premier temps, à rédiger un texte de réforme de l’ordonnance organique. A ce titre, j’ai bénéficié de 11 contributions écrites analysant ce document de travail. Ce dernier a été réalisé d’abord par comparaison avec le droit en vigueur, puis également par comparaison avec la proposition n° 2540 de loi organique relative aux lois de finances, déposée le 11 juillet 2000 sur le bureau de l’Assemblée nationale par le rapporteur général du budget Didier Migaud.
Le 11 juillet dernier, le Président de l’Assemblée nationale et le rapporteur général du budget, sont venus présenter la proposition de loi au Président du Sénat peu avant son dépôt.
La commission des Finances du Sénat a pris la décision, sur ma proposition, de s’inscrire dans la démarche proposée par le Président de l’Assemblée nationale et son rapporteur général. C’est pourquoi j’ai alors renoncé à rendre un texte public, et a fortiori, à déposer une proposition de loi concurrente.
En revanche, la commission a souhaité faire état de sa réflexion et de ses propres propositions, en vue de se préparer en amont à la discussion de la proposition n° 2540 de l’Assemblée nationale.
C’est le sens du rapport ci-dessous déposé en annexe au Procès verbal de la séance du 19 Octobre 2000.
Faut-il rappeler que la majorité de l’Assemblée Nationale et celle du Sénat n’étaient pas en harmonie à cette époque et que cela ne nous a pas empêché de travailler en bonne intelligence pour le bien du Pays.
Cet historique des travaux au Sénat est des plus intéressants !!!!
Il soulève quelques questions d’un chercheur un peu curieux :
_ Certes, il n’y a pas eu de contre-proposition de réforme déposée. Mais, je me demande si vos travaux vous avaient conduit à l’ébauche d’un dispositif de réforme ? Si tel est le cas, la curiosité conduit à se demander sur quels points un tel projet rejoignait ou au contraire différait de la proposition Migaud…
_ une autre question qui me brûle les lèvres est celle de savoir si FINALEMENT le législateur organique (ou à tout le moins les "pères fondateurs" de la LOLF) reconnaîssent dans le système qui va sous peu commencer à s’appliquer ce qu’ils envisageaient en élaborant et en adoptant la LOLF ?
J’en terminerais par deux remarques sur l’"harmonie" et le consensus qui a prévalu lors de l’adoption de cette réforme :
_ Non seulement les commissions des finances ont su travailler "en bonne intelligence" mais il faut également noter que la LOLF a été elaborée et adoptée sous un gouvernement de gauche et mise en oeuvre et appliquée pour la première fois par un gouvernement de droite (avec néanmoins une grande continuité dans l’esprit de la réforme). C’est assez rare pour le souligner.
_ Enfin, on peut également noter un autre fait assez "exceptionnel" concernant cette réforme qui vous concerne directement. Comment oublier qu’après avoir contribué à l’adoption de cette réforme, vous fûtes désigné pour la mettre en oeuvre. C’est là encore assez exceptionnel et cela a sans aucun doute contribué à ce que la mise en oeuvre de la LOLF poursuive les objectifs fixés par le législateur organique…
La LOLF a donc été, à bien des égards, une réforme historiquement "exceptionnelle"…
Merci à Damien de s’intéresser à cette belle histoire qui restera le plus beau souvenir de ma vie publique.
Je réponds point par point.
Si nous avions décidé au Sénat d’élaborer notre propre proposition de loi, c’était d’abord pour nous livrer à un vrai exercice pratique et non à une œuvre académique. Puis aussi pour mesurer les difficultés que seule l’écriture nous révèle. Et enfin pour donner du temps au temps à ceux qui n’envisageaient pas au départ de voter une proposition de loi émanant d’un courant de pensée opposé.
Sur la 2ème question, oui, le législateur organique d’origine qui s’incarne aujourd’hui par des personnes différentes aux responsabilités, se retrouve dans sa volonté initiale. Même si la doctrine d’application s’est inévitablement révélée plus tatillonne que les principes généraux qu’il avait voulu poser. Ce qui est dans la nature de choses. Mais jetez un coup d’œil sur le rapport dont je vous ai donné les références dans le billet et vous serez surpris de la similitude entre nos souhaits de 1999 et les principes qui seront mis en application dans 13 jours.
Sur la 3ème question : les deux commissions de finances de majorité opposée entre l’Assemblée et Nationale ont choisi de travailler en harmonie après avoir compris que c’était la seule voie qui pouvait permettre de réussir, avec 35 échecs. Au surplus, les deux rapporteurs : Didier Migaud et moi-même étions habités par l’idée qu’il nous fallait montrer une maturité politique historique pour voter dans le consensus un texte d’intérêt général aussi nécessaire.
Sur la 4ème question : la LOLF a bénéficié tout au long de sa conception, de sa naissance, et de ses premières années de vie, d’une conjonction astrale exceptionnelle. Chronologiquement, l’estime, l’amitié et la confiance mutuelle qui nous animait Didier Migaud et moi faisaient que nous n’avions pas le sentiment d’être politiquement opposés, même si nos amis respectifs ne cessaient de nous le rappeler. Ensuite, il y a eu le fait que Laurent Fabius, Président de l’Assemblée Nationale, très favorable à la LOLF soit devenu Ministre des Finances à Bercy où l’on ne voyait pas forcément d’un bon œil cette réforme. Et enfin, dès l’alternance qui a suivi l’adoption de la LOLF, j’ai été chargé au sein du Gouvernement de la mettre en œuvre. Quand le hasard de la vie vous lance autant de coup d’œil complices, vous n’avez pas le droit d’échouer.
Puis merci aux universitaires de nous aider à la faire vivre jusqu’à ce qu’elle porte tous ses fruits.
Comme quoi il n’y a pas forcément besoin d’une "grande coalition" pour que l’intérêt général s’exprime. La France est dans une telle situation qu’il fudra bien un minimum de consensus entre gens de bonne foi et de bonne volonté pour détruire la gangue qui nous étouffe.