Voilà plusieurs jours que je me promettais de l’appeler ou de lui adresser un mail afin de connaître son sentiment sur la crise que nous traversons. Pour la bien connaître maintenant, il me semblait indispensable, pour parfaire ma réflexion sur cette triste situation, de recueillir l’avis d’une personne de sa qualité qui peut, mieux que tant d’autres, nous donner un avis éclairé.

Voici le texte.  Je n’ai rien à ajouter. Mon me ferez part de vos réactions.

« Déjà depuis plusieurs mois, la colère montait. Les uns et les autres, nous avons tenté en vain d’alerter sur les risques de la ghettoïsation des lieux et des esprits. Cette dernière est sans doute la pire de toutes. Elle témoigne de la désagrégation du lien social et du repli du groupe. Devant les images violentes qui passent en boucle sur les écrans de télévision, les mots qui résument aujourd’hui le mieux mon état d’esprit sont incompréhension et injustice.

Incompréhension, car je ne comprends pas comment des actes aussi violents ont pu être commis. Je pense à cet homme battu à mort pour un appareil photo, je pense à cette femme, handicapée, brûlée par des incendiaires, je pense à cette femme, policière, dont la mâchoire a été fracturée par une boule de pétanque lancée par des délinquants… J’en oublie sans doute. Rien ne peut justifier de tels actes. Rien.

Injustice, car j’ai le sentiment que lorsqu’on est un enfant d’ouvrier — quelles que soient les origines des parents, d’ailleurs —, les chances de réussir sont amoindries, voire inexistantes. Je suis bien placée pour le savoir : fille d’ouvrier algérien, je sais depuis des années qu’on peut travailler et vivre sous le seuil de pauvreté. Malgré les obstacles qui, parfois, m’ont paru infranchissables, je suis devenue docteur en droit et maître de conférences à la Sorbonne. Grâce d’ailleurs à l’école républicaine aujourd’hui tant décriée. Pour autant, j’ai ce sentiment que tout reste à faire. Comment pourrait-il en être autrement ? Ma soeur et mes deux petits frères n’ont pas le baccalauréat. L’école n’a pas été leur salut. Ma soeur a occupé toutes les formes d’emplois précaires créés par les gouvernements successifs, des TUC au CES.

Mes frères travaillent tous les deux. L’un d’eux est militaire. C’est l’acte le plus fort d’attachement à la République. Il risque sa vie sur des terrains d’opérations extérieures. Pourtant, quand il revient, il reste pour beaucoup un étranger auquel on refuse l’entrée en boîte de nuit en raison de sa couleur de peau.

J’en veux aux casseurs car ils font oublier à la France la réalité injuste que tous ces millions de silencieux vivent au quotidien. Je souhaite que les pouvoirs publics arrêtent leur politique désastreuse à l’égard des territoires défavorisés. Je rêve d’une politique de développement économique ambitieuse, créatrice d’emplois et de richesses. Je rêve que demain les habitants de ces quartiers soient considérés comme des citoyens à part entière avant d’être considérés comme des allocataires sociaux. Car le grand drame de ces dernières années a été de privilégier le social au détriment du politique. »

Jeannette Bougrab, juriste, est maître de conférences à la Sorbonne, membre du Haut Conseil à l’intégration et secrétaire nationale à l’UMP.