A propos de la fermeté et du dialogue, je ne peux chasser de ma mémoire un souvenir fort de ma vie de Maire qui m’aura marqué pour la vie. Même si les acteurs en cause ne sont en rien comparables, leur imprévisibilité et leur obstination conduisent souvent à la violence.

Le Conseil Municipal, toutes tendances confondues, avait, à l’unanimité, décidé le déplacement d’une foire ancestrale du centre ville vers la périphérie, attendu les désordres que cette fête foraine engendrait dans le coeur de ville, en particulier sur la place de l’Hôtel de Ville.
Les forains s’opposèrent à cette décision. Après deux années de préavis, de dialogues aussi interminables que vains, la situation s’envenima au point que la ville fut totalement bloquée et que dans un accès de colères, ils prirent d’assaut l’Hôtel de Ville et décidèrent de l’occuper. Installés dans le hall, ils recueillaient, sans vergogne, sur une table de fortune, les signatures de leurs supporters dont la moyenne d’âge dépassait rarement 15 ans…
Malgré mon indignation, celle du Conseil Municipal, il ne fut pas immédiatement décidé d’utiliser la force publique pour faire évacuer notre mairie.
Au soir de 48 heures de veille, les occupants commirent l’erreur de partir dîner tous ensemble, sans doute pour fêter leur prise de guerre. Immédiatement prévenu par le concierge, je m’introduis dans le bâtiment, avec mon plus proche collaborateur. Je ferme à double tour l’édifice. Et attends patiemment le retour des mutins dont j’imaginais par avance qu’ils chercheraient à se venger sans délai. Ce qui ne manqua pas ! Ils installèrent soigneusement un impressionnant stock de pneus usagés devant l’édifice, y mirent le feu et attendirent que l’incendie se déclare.
Je prévins immédiatement le Préfet que l’incendie de l’Hôtel de ville aurait pour effet de faire griller le Maire. Après s’être étonné que je me sois mis en danger, aussi inutilement à ses yeux, et ce, sans le prévenir, il donna instruction à l’escadron de gendarmerie mobile stationné à proximité et attendant les ordres depuis 48 heures, de charger ! Le déploiement des forces fut si impressionnant que j’en vins moi-même à avoir peur. Dans l’obscurité on ne fait guère de différence entre un forain et un Maire ! Mes gaillards de forains qui bravaient les forces de l’ordre depuis 2 jours et prétendaient leur faire mordre la poussière, eurent la peur de leur vie et prirent leurs jambes à leur cou. Au lendemain, je fis savoir que j’étais prêt à reprendre le dialogue à condition qu’il se déroule dans le respect mutuel et que la décision des élus s’applique en dernier ressort quoiqu’il arrive.
A leur grande surprise, et au grand dam du Préfet qui craignait pour ma sécurité, j’acceptai de me rendre, à leur invitation, dans le camp de caravanes où ils résidaient pour parfaire notre accord de réinstallation. Je fus accueilli avec déférence et vigilance ultime de leur part pour éviter tout incident.
Aujourd’hui les opposants sont heureux de leur nouvel emplacement.
Et la plus belle morale de l’histoire se déroula deux ans après, et je la tiens de l’intéressé. Le Chef des « rebelle » à la décision municipale avait décidé d’avancer son arrivée en Alençon pour que l’enfant à naître dans son foyer vienne au monde dans notre ville, symbole pour lui d’un lieu de valeureux combat. Non victorieux certes, mais d’un combat digne et fort qui lui apprit, selon ses termes, qu’en démocratie la force publique l’emporte toujours sur les résistances privées.
Je n’ai jamais cessé de penser depuis, que lorsque les bornes sont franchies, seules l’autorité et la fermeté ramènent les hommes dans le droit chemin. Ce qui est aussi une façon de les respecter.