« Lucy Fer » ce matin me suggère (je le cite) « d’expliquer clairement et sans détour en quoi l’actuelle Loi de Finances recourt à des artifices …
… « pour faire croire que l’on va respecter le critère européen des 3% alors que les dépenses de l’Etat continuent d’augmenter ? La presse ne cesse de le dire et de le répéter, mais toujours avec un jargon incompréhensible et jamais assez argumenté pour le grand public ».
En quelques mots : La dérive de nos finances publiques se mesure par un écart excessif entre les recettes et les dépenses (le déficit) qui alimente une dette abyssale, laquelle engendre des intérêts qui pèsent chaque année davantage sur les dépenses (ce qu’on appelle l’effet boule de neige). Au point de voir les intérêts de la dette consommer bientôt toutes les recettes de l’impôt sur le revenu !
Le déficit pourrait résulter d’une insuffisance de nos recettes. Dit autrement : d’impôts trop faibles ! Hélas ce n’est pas le cas. Je dis hélas car rien n’est plus facile que d’augmenter les charges et impositions de toute nature. La difficulté tient au fait que nos impôts sont déjà élevés, comparés à nos voisins et qu’en économie ouverte nous sommes en compétition. Si nous relevons nos prélèvements, nos contribuables, nos entreprises et nos emplois vont s’en aller ! Donc pas de marges de ce côté.
Dès lors notre mal vient-il d’un excès de dépenses ? Oui, oui et oui ! et ce au moins pour deux raisons : la première est que les nôtres sont plus élevées que celles de tous nos voisins et la deuxième est qu’elles se sont accrues depuis 25 ans beaucoup plus vite que la richesse que nous avons produite.
Nous devons donc maîtriser nos dépenses, à défaut de savoir les réduire immédiatement.
C’est pourquoi, nous sommes parvenus, de haute lutte, à compter de 2002, à nous soumettre à une règle exigeante de ne pas dépasser, chaque année, une évolution de nos dépenses supérieure à celle de l’inflation. Ce qu’on appelle le « zéro volume ». Cette norme est assez contraignante car les intérêts de la dette augmentent chaque année, ainsi que les pensions et les salaires de la fonction publique. Nous avons cependant tenu à l’euro près depuis 2002, y compris à force de gel, puis d’annulations de crédits pour faire face aux dépenses imprévues.
Or, lorsque les dépenses ne sont pas tenues avec exigence, la norme risque d’être dépassée.
L’avouer est politiquement peu valorisant, et c’est perdre toute crédibilité face aux observateurs, à nos partenaires européens et au monde qui nous regarde. La maîtrise de la dépense, en matière de finances publiques, est le premier critère de crédibilité.
Alors comment font les gouvernements peu vertueux qui choisissent de dépasser la norme ?
Ils utilisent trois ruses qui ne trompent hélas que les gens honnêtes, car les professionnels des questions budgétaires ne sont pas dupes.
La 1ère ruse consiste à changer le périmètre des dépenses et à transférer par exemple le coût des allègements de charges qui pèsent sur les bas salaires du budget de l’Etat vers le budget de la sécurité sociale. Ainsi les repères de l’année précédente sont perdus. Ce transfert cette année cache 1,8 milliard d’euros de dépenses supplémentaires. La 2ème ruse consiste à sous estimer certaines dépenses dans la loi de finances initiale, sous le fallacieux prétexte que des réformes de structures seront prises en cours d’année pour limiter la dépenses. Les réformes ne sont jamais faites et le dépassement de dépenses est constaté en fin d’année.
La 3ème ruse est de budgéter des crédits supplémentaires pour faire croire à des politiques mirobolantes, alors que l’on sait parfaitement qu’ils ne seront pas dépensés au cours de l’année. Le problème est que ces crédits accumulent des montagnes de reports qui viennent perturber l’exécution du budget des années suivantes.
Je pourrais, au risque de vous désespérer vous décrire mille ruses de garçons de bains que connaissent tous les budgétaires.
Pour les pratiquer depuis 25 ans, la France est menacée de se retrouver aujourd’hui en cessation de paiement. Sa seule chance de s’en sortir est de reprendre la maîtrise de ses finances et plus particulièrement de ses dépenses. Et cette maîtrise passe par la sincérité. Une sincérité absolue. Vécue comme éthique. Alors le peuple sera prêt à écouter, comprendre, accepter les contraintes. Pour peu qu’il sache que le projet de son pays est de retrouver les conditions de sa grandeur et de son rôle dans la société.
J’ai été bien long et sans doute déjà abscons. Mais il est si difficile de faire court et simple en cette matière.
Merci de votre bienveillance.
Je répondrai à vos questions sous le pseudo habituel de Web-blog.
Fidèlement,
Personnellement j’ai trouvé ça très clair, merci !
Bravo pour cette explication claire même pour un non-initié. Je découvre ce blog depuis une semaine et je dois avouer que votre sincérité et votre vision des choses (budgétaires en particulier) me séduisent.
Hélas, je n’habite pas Alençon et vous ne pourrez donc pas compter sur mon modeste vote.
J’éspère que vous pourrez trouver d’autres chevaliers de la cause budgétaire afin d’inciter ce gouvernement à modérer au maximum les dépenses car visiblement ce n’est pas gagné !
Encore bravo !
Pourriez-vous fournir quelque éclaircissement sur cette information où vous êtes cité ? Merci.
Lors d’une perquisition dans le cadre de l’affaire "Rhodia", les juges chargés de l’instruction ont mis la main sur une note confidentielle datée du 1 mars 2005. Cette note liste les personnels (chauffeurs et secrétaires) de Bercy mis, indûment mais payés par le contribuables, à disposition d’anciens ministres des finances : Jean Arthuis, Dominique Strauss-Khan, Alain Lambert, Alain Madelin, Michel Sapin. Craignant que l’opinion publique ne s’empare de cette affaire, Thierry Breton a décidé de mettre un terme à cette pratique injustifiée et silencieuse. Michel Sapin a donc décidé de rémunérer, cette année, sa secrétaire par la Mairie d’Argenton-sur-Creuse dont il est le maire. Laurent Fabius, lui aussi ancien ministre des finances, n’ a pas cédé à cette tentation.
Et la 4ème ruse consiste à surestimer les recettes prévisibles… Il est peu probable, cependant, que la France approche d’une situation de « cessation de paiement » (malheureusement ?). La détérioration des finances publiques peut durer longtemps, tandis que Bruxelles n’a pas vraiment les moyens d’imposer le respect du pacte de solidarité. Dans ces conditions, le boulet budgétaire s’alourdit graduellement, ce qui grippe la machine économique petit à petit, jusqu’à la crise. Ce n’est pas à souhaiter, mais inévitable si l’alternative intelligente tarde à se concrétiser.
PS: Merci de vos éloges hier pour mon billet intitulé « Il n’y a pas d’alternative au redressement des finances publiques ! ». Surtout, merci de poser les bonnes questions…
Je n’ai pas cité cette 4ème ruse car, même le plus avisé, est bien en peine de prévoir au plus juste les recettes fiscales, tant "l’élasticité" de ces recettes à la croissance est difficile à prévoir. En revanche, pardon, pour une fois, de pas être totalement en accord avec vous sur l’idée que la détérioration de nos finances publiques peut encore durer longtemps. Si le pacte de stabilité et de croissance a connu une application dégradée ces dernières années, c’est en partie parce que l’Allemagne et la France étaient dans la même situation et qu’il était difficile de s’attaquer aux deux colosses en même temps. Mais je parie sur un redressement de l’Allemagne comme dividende de la "grande coalition". De toute manière, s’il n’en était pas ainsi, ce serait l’Euro lui-même qui viendrait à être menacé, puis la dégradation de la note de la dette française risquerait d’accroître le coût des intérêts jusqu’à l’embolie … budgétaire !
J’espère que vous avez raison ! D’ailleurs, l’euro a déjà enregistré quelques accès de faiblesse depuis le 29 mai dernier…
Vous faites sans doute allusion à un article paru dans le Point, il y a environ un mois ?
Tout d’abord, une petite mise au "point" ! il ne faut pas affirmer des choses que l’on connaît mal ! Contrairement à ce que vous affirmez, Laurent Fabius, et c’est parfaitement normal, a conservé une voiture appartenant à l’Etat ainsi qu’un chauffeur, en sa qualité d’ancien Premier Ministre.
Pour ma part, j’ai refusé de répondre au journaliste du Point au motif que j’avais été le seul à accepter, durant l’été, de le faire, sur le même sujet, à un journaliste de l’Express qui avait ensuite totalement déformé mes propos.
Ma situation est d’une simplicité biblique. Quand j’ai quitté le Gouvernement, j’ai été nommé Conseiller du Président de la République à l’Elysée et les deux administrations celle de la Présidence de la République et celle de Bercy se sont mises d’accord pour que je conserve la même personne comme chauffeur dans mes nouvelles fonctions. Je dois dire que c’est une personne de grande qualité dont j’ai n’ai pu que me louer de ses bons et loyaux services.
Lorsque j’ai été réélu au Sénat, j’ai été nommé Parlementaire en mission, conjointement avec Didier Migaud, député socialiste et co-auteur avec moi de la LOLF, pour suivre la mise en œuvre de cette Nouvelle Constitution Budgétaire. Nommés auprès du Ministre du Budget, Bercy m’a affecté la même personne pour me conduire ; Didier Migaud me l’ayant laissée à ma seule disposition, étant lui-même conduit par l’Assemblée Nationale, en sa qualité de Questeur.
Depuis le terme de notre Mission (fin septembre), le chauffeur a rejoint Bercy.
J’ajoute que je n’ai aucun complexe à me faire conduire. J’ai pris cette décision quand j’étais Maire, à la suite d’un accident que j’avais provoqué, Dieu merci, sans dommages corporels, à cause d’un surmenage et d’une inattention. IL y avait 6 enfants dans la voiture que j’avais télescopée ! Et pour la petite histoire la conductrice était l’épouse d’un Conseiller Municipal de l’opposition. Je lui ai toujours su gré d’avoir eu la discrétion de n’en jamais parler. C’était il y a 15 ans ! J’ai rarement conduit depuis. Sauf pendant les vacances. A titre privé, c’est toujours mon épouse qui conduit.
Voilà la réalité banale de ma relation à l’automobile ! Et bravo de vous occuper ainsi des grands enjeux de finances publiques !
Cher monsieur Lambert,
Puisqu’en pratique, en 2006, il faudra disposer d’un amendement du Parlement pour qu’une dépense donnée dépasse le plafond fixé de dépenses fixzé par le Parlement, doit-on comprendre que c’est devant l’assemblée nationale que nous autres fonctionnaires devrons, en 2006, demander les rattrappages de pouvoir d’achat que nous n’avons pas reçu depuis 2000 ? Comment imaginez-vous une négociation salariale entre parlementaires et fonctionnaires ?
Merci pour votre réponse (au sujet de l’automobile). C’est très bien que vous vous fassiez conduire : ça crée de l’emploi !
Au sujet de Laurent Fabius, la petite précision que vous apportez réduit à sa simple expression la vertu qui lui était prêtée ici.
D’une pierre deux coups !
Cher Monsieur le …. (bravo pour le pseudo !)
Tout d’abord au plan pratique, même sous l’empire de l’Ordonnance de 1959, avant même la LOLF, le gouvernement ne devait pas dépasser le plafond de l’autorisation parlementaire. Car, en démocratie, c’est le Parlement, c’est à dire le représentation du Peuple Français, qui autorise les dépenses et pas le Gouvernement.
Par ailleurs, il vaut mieux utiliser le vocable « Parlement » qu’ Assemblée Nationale (malgré tout le respect que je lui porte) car le Parlement est composé de deux chambres l’Assemblée et le Sénat.
Enfin, s’agissant des négociations salariales, elles ne peuvent se tenir qu’entre le Gouvernement et les syndicats de fonctionnaires. Ce n’est pas au Parlement d’être partie prenante, car l’exécutif (Gouvernement) est seul compétent pour déterminer et conduire la politique de la nation, en ce compris la politique salariale. A charge pour lui de trouver la majorité pour lui voter les crédits nécessaires.
Vous n’êtes naturellement pas dupe de ma réponse, en revanche, sur votre question de « rattrapage », car vous savez parfaitement que les salaires de la fonction publique depuis 2000 ont progressé plus vite que ceux du privé et qu’il serait bien imprudent de demander de nouveaux prétendus rattrapes.
Puis comme vous me donnez l’occasion de dire un mot de mes idées en la matière. L’avenir de la rémunération des fonctionnaires, tient dans la réduction de leur nombre. Cela me semble d’une évidence aveuglante ! C’est pourquoi la LOLF traite davantage de masse salariale globale que d’effectifs. Comme vous le savez également, la démographie des fonctionnaires permet d’envisager une amélioration des salaires en ne remplaçant pas des milliers de départs à la retraite, ce qui est parfaitement possible dans certains métiers qui se sont automatisés notamment par l’informatique.
Merci de m’avoir malicieusement offert cette « tribune » pour dire un mot de ce sujet important.
Cher monsieur Lambert,
Merci pour la franchise de votre réponse. Comme vous ne l’ignorez guère, la prudence est la mère de tous les renoncements. En votant la LOLF, l’assemblée nationale choisit de devenir l’interlocuteur obligé de la dépense publique et devra donc assumer ce choix, surtout lorsqu’on considère que les enveloppes qui seront très prochainement votées (et peut-être modifiées par l’assemblée) sont parfois composées à plus de 96% de frais de personnel dont les effectifs sont parfois constants.
L’ensemble de la fonction publique (santé, éducation, notamment) saura donc (au prix de quelques calculs, que les bons bureaucrates que sont les fonctionnaires savent tous fort bien faire) sous peu quelle augmentation du point d’indice est accepté par l’actuelle majorité à l’assemblée pour 2006, ce qui permettra de travailler sur des éléments objectifs tout au long de l’année. Car, après tout, comme vous ne pouvez l’ignorer, ce choix, profondément politique, ne saurait être remis en question au motif de quelque actualité que ce soit, mais uniquement par la voie de la négociation.
En matière d’évidences aveuglantes, l’assemblée nationale, dont la considérable production législative (et les obligations qu’elle créé, donne ou retire à l’administration) impose la dépense bien plus que le programme de quelque gouvernement. Parler de maitrise de la dépense publique sans évoquer le coût des mesures législatives est un non-sens. En résumé, peut-être faudrait ne pas oyublier la relation entre la production législative du parlement et le nombre d’emplois publics.
De la même manière qu’est un non-sens ce qui consiste à attribuer à l’état les mérites d’actions dans le domaine de l’éducation, de la santé, ou des affaires sociales par exemple, menées suite à des politiques concertées entre acteurs locaux et état, politiques concertées par les acteurs de terrain, dans le cadre (oserai-je dire, le labyrinthe) de mesures législatives nées au Parlement, et donc, fort logiquement, co-financées.
Alain,
Compte-tenu des écrits peu élogieux que vous tenez à propos du budget présenté par le gouvernement , aurez-vous le courage de voter contre le moment venu ?
Sinon, pouvez-vous nous expliquer en quoi ce budget qui "utilise des artifices" mériterait au final un vote positif de votre part ?
Merci !
Je n’aurai aucun trouble à voter le budget, même si je l’aurais, sous certains aspects, préféré autrement configuré. Mais je connais trop la faiblesse des marges de manœuvre pour « jeter la pierre » aux ministres de Bercy. J’imagine qu’ils reçoivent les instructions comme j’en recevais quand j’étais à leur place.
Ne vous méprenez pas sur la démarche que je conduis avec ce Blog. Il s’agit pas pour moi d’entretenir une opposition larvée au Gouvernement. Je veux seulement traduire en langue française des sujets économiques et financiers qui sont toujours présentés en langue étrangère, je veux dire technocratique. C’est donc un acte de démocratie que j’accomplis, afin que l’adhésion aux politiques décidées puisse faire l’objet d’un consentement éclairé plutôt qu’aveugle.
Quand j’explique les « ruses budgétaires », je ne veux pas dire qu’il y en a plus cette année qu’avant, c’est simplement pour répondre à des questions précises qui me sont posées, et aussi pour illustrer comment, sans y prendre garde, on peut glisser du simple accommodement budgétaire au mensonge.
Pour cette année, celle qui aurait dû être plus clairement assumée est le passage des allégements de charges du budget de l’Etat sur celui de la Sécurité Sociale, car ce transfert masque en effet le dépassement de la norme « zéro volume ». Mais curieusement pour vous peut-être, je suis moins choqué par le dépassement que par le fait qu’on ne l’assume pas explicitement !
Le chemin qui conduit à la sincérité budgétaire absolue sera long. Mais j’y crois cependant. Un jour les gouvernements découvriront que les Français sont prêts à tout comprendre pour peu qu’on leur explique et qu’on le fasse dans une transparence éthique, sans pour autant être naïve.
Sur le reste, mon attente forte porte sur deux ou trois points de principe : une consolidation de nos comptes publics plus forte, notamment entre l’Etat et la Sécurité Sociale, l’adoption d’une norme de dépenses « zéro valeur », c’est à dire en euros courants et non constants au moins jusqu’à ce que nous revenions à l’équilibre primaire (moment où nous n’emprunterons plus pour payer les intérêts de la dette). Et enfin que nous traitions les tabous comme l’ISF sans peur ni circonvolutions enfantines.
Enfin, il est vrai que je ne suis pas passionné par la réforme fiscale, exclusivement parce qu’elle relève de l’exercice 2007 et qu’à cet horizon là, il est probable que le paysage aura changé. Cela étant, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il en soit traité.
Tout cela pour vous dire que je ne vois vraiment pas au nom de quoi je ne voterai pas le budget.
Merci, cher Alain Lambert, pour vos explications limpides. Mais, dans ces conditions, croyez vous que nous pourrons vraiment respecter les 3% du pacte de stabilité et de croissance en 2006 ? Et quid de 2007 ? Merci encore pour vos réponses.
Le Rapporteur Général de la Commission des Finances du Sénat vous donne raison en regrettant l’opacité des relations entre le budget de l’Etat et celui de la Sécurité Sociale. Il pointe exactement comme vous que "la progression des dépenses nettes du budget général fait que la norme zéro volume n’est pas respectée".
Comment mettre fin à cette situation de confusion de comptes publics ainsi éclatés entre l’Etat et la Sécu ? je paie de la CSG et le Parlement respecte-t-il la déclaration des droits de l’Homme pour autoriser, vérifier et contrôler l’emploi de ces prélèvements, comme ceux opérés pour le compte de l’Etat ?