Comment peut-on croire en l’entreprise, et s’affirmer social ? Comment peut-on être favorable à la création de richesses et aider les pauvres ? Comment peut-on assurer la sécurité de l’emploi et encourager la concurrence ? Comment peut-on adopter une politique sociale tout en refusant que l’Etat ait trop de pouvoir ?
Oui ! c’est possible. Dès lors que nous avons la volonté de donner un sens réaliste au monde moderne, ce monde dans lequel la fidélité à un idéal est essentielle, mais où l’idéologie peut être mortelle. Dans ce monde-là, les citoyens ne demandent à leur gouvernement ni dogme, ni thèse, mais un sens aigu du dessein national, adossé sur des valeurs claires.
Dans ce monde surtout, l’homme de la rue voit le changement arriver à une allure et dans des proportions qui lui font peur. Il veut la sécurité dans la tourmente. Il essaie de maîtriser sa vie, alors même qu’il est ballotté de tous côtés.
La mission d’un gouvernement moderne consiste à l’y aider, malgré ce dilemme : les gens savent qu’ils ne peuvent pas s’opposer au changement ; qu’ils ne trouveront pas le salut dans l’isolement ; que c’est impossible. Mais ils ne veulent pas non plus que le changement les emporte ; qu’il prenne le dessus. Il nous revient donc de mettre nos concitoyens en état de se battre dans cette perspective, de donner une forme au changement, de lui donner un sens, d’en mesurer l’ampleur pour en contrôler les effets.
Si quelqu’un doutait de la nature de ce changement, qu’il considère un instant la situation : des marchés financiers qui s’envolent ou s’effondrent, au moindre signe ; des médias, des musiques, des arts, des communications de masse qui transforment les goûts, les perceptions, même les cultures nationales avec une rapidité incroyable ; la technologie et la concurrence qui renouvellent le monde du travail, et révolutionnent l’industrie. La rupture des structures sociales et familiales traditionnelles, dont les effets se font déjà sentir dans notre vie sociale et morale.
Nous avons à trouver la réponse à deux questions : comment nous armer au mieux en vue du changement économique ? et comment imposer un certain ordre au bouleversement social ?
Autrement dit, comment être garant de la sécurité dans un monde en mouvement ?
Seules nos valeurs peuvent nous guider. Je suis convaincu que nous devons être d’une fidélité absolue à nos valeurs fondamentales. Sans elles, nous n’aurions pas de boussole pour nous guider.
La solidarité, la justice, la liberté, la tolérance et l’égalité des chances, le sentiment qu’appartenir à une communauté et à une société fortes est l’instrument du progrès individuel : voilà les valeurs qui sont au coeur même de la politique, la vraie, celle qui est assumée. Mais nous devons être infiniment adaptables, et faire preuve de la plus grande imagination quant aux moyens de les mettre en oeuvre. Il n’y a pas de conditions préalables idéologiques, pas de veto préalable sur ces moyens. Ce qui compte, c’est ce qui marche. Si nous n’adoptons pas cette attitude, le changement nous piège, nous paralyse, et nous balaye. Mais la modernisation a un sens. Pour y répondre aujourd’hui, nous avons besoin de nouveaux modes de travail, d’une nouvelle vie collective. Dans les deux cas, c’est un nouveau rôle pour le gouvernement.
Sur le plan économique, j’en tire quatre conclusions.
Premièrement, nous devons respecter une discipline prudente et stricte en matière de politique financière, dans le cadre de systèmes ouverts et transparents. La gestion de l’économie n’est ni de gauche, ni de droite : elle est bonne ou mauvaise. La situation en Asie est un cas d’école : comment le manque de transparence et de clarté conduit-il à la crise ? Nous devons réduire le déficit budgétaire de façon spectaculaire. Le prix à payer est élevé ; la compression de la dépense est impopulaire. Mais sur le long terme, nous aurons eu raison, et nous en récolterons les fruits.
Deuxièmement, le gouvernement n’est plus tant chargé de réglementer, que d’armer les hommes en vue du changement économique, en insistant sur l’éducation, la qualification, la technologie, l’infrastructure, et un politique sociale qui favorise l’emploi et le rende avantageux. C’est cela le progrès : ni le laisser-faire, ni l’étatisme rigide, mais une participation active à l’amélioration de l’employabilité.
Troisièmement, adoptons des mesures spécifiques pour combattre le fléau de l’exclusion. Je pense à cette catégorie de gens coupés de la vie sociale normale, relevant de plus en plus d’une culture liée au crime, à la drogue, à l’instabilité familiale, aux mauvaises conditions de logement et d’éducation, ainsi qu’au chômage de longue durée. Une attention particulière doit être portée sur le retour au travail des jeunes et des chômeurs de longue durée. Pour cela, il faut coordonner l’action des différents ministères, et l’optimiser. Il n’y a qu’une seule nation, une seule France ; personne ne doit rester au bord de la route.
Quatrièmement, nous devons relancer l’esprit d’entreprise, la création de PME, et l’instauration d’un climat dans lequel on accepte de prendre des risques pour être indépendant, pour apprendre de nouvelles façons de travailler, et pour admettre que créer sa propre affaire est à la fois naturel et raisonnable.
Je vous demande pardon d’avoir exposé des idées si libérales et si contraires à notre tradition politique française. Pourtant, j’y crois profondément. Serais-je alors vraiment d’une droite réactionnaire ?
Pour tout vous avouer, j’ai recopié (en l’adaptant pour quelques mots seulement) un extrait du discours de Tony Blair à l’Assemblée Nationale Française, le 24 mars 1998. Le taux de chômage en Angleterre n’est que de 5% contre 10 % en France. Il a été réélu une troisième fois. S’il n’est pas un modèle, admettons au moins lucidement que le sien marche mieux que le nôtre.